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Bienvenue à Surf City, temple du Surf Business
 
C'est à Torquay, petite bourgade endormie près de Melbourne qu'une bande de surfeurs hippies a inventé le surf business à la fin des années soixante. Aujourd'hui moins de cent mètres séparent Rip Curl, Quiksilver et consoeurs qui prospèrent toujours sur la « Surfcoast Highway ». Enquête sur place, alors qu'une page de l'histoire de la glisse est sur le point d'être tournée.
 
Texte et photos Jean-François Vibert
 
Arrivée à Bell's Beach au petit matin, après trente heures de voyage. Du parking, on surplombe le site de l'une des plus mythiques compétitions du World Tour. Échoué dans un coin, un vieux pick-up rouillé, d'où sort un chevelu hirsute une planche sous le bras, « Hey mate ! », c'est comme ça qu'on se salue entre surfeurs australiens. Plus loin, les occupants d'un Combi WV planquent leurs couvertures : « Il est interdit de camper ici ». Surfeurs ou pas, les « Aussies » ne plaisantent pas avec le règlement, d'autant que demain commence la 30e édition du Bell's Rip Curl Pro. L'élite du surf est au rendez-vous pour se disputer les 250.000 $ US promis au vainqueur.
 
Sur le Parking de Bell's Beach
Bell's Beach, la plage qui a vu naître le surf business
 
Marchands de glaces, pompiers, membres du Rotary, toute la ville est mobilisée - La star locale, Mike Fanning vainqueur en 2001, tente d'ignorer la pression qui pèse sur ses épaules de vingt ans. Pas facile alors que sa photo qui illustre l'affiche de l'événement a été placardée dans tout l'état de Victoria par son employeur Rip Curl, organisateur de l'épreuve. Premier du circuit WQS 2001, salué par le magazine US « Surfer » comme Meilleur Performer de l'année et sacré Meilleur Surfer 2001 par les « Action Sports Awards », le jeune Mike est l'étoile montante du circuit. Son salaire est top secret mais le chiffre qui se chuchote sur les plages fait déjà rêver une génération d'adolescents. On les comprend, tous préfèreraient surfer riches au soleil plutôt que s'ennuyer pauvres au lycée.
 
 
Sunny Garcia (de dos avec les tatouages) face à Johana Beach
 
Shopping session à « Surf-City » - L'organisation est à l'australienne, courtoise mais implacable. Pour l'instant on installe des clôtures pour parquer les milliers de voitures attendues, il faut payer 1,8 euros pour se garer et 6,7 euros pour accéder à la plage. Des toilettes et des poubelles à tri sélectif sont installées partout, ici plus qu'ailleurs le surf se doit d'offrir une image irréprochable. Le règlement autorise l'organisateur à suspendre au besoin l'épreuve afin d'attendre les conditions optimales, les vagues étant modestes c'est justement la décision prise dès le premier jour. Spectateurs, surfeurs du dimanche et familles en vacances désertent donc la plage, direction Surf City sur la « Surfcoast Highway », pour faire le tour des plus somptueux surfshops d'Australie.
 
Johana Beach qui accueil parfois la compétition.
Mick Fanning, étoile montante du circuit et star locale
 
La chasse aux autographes est ouverte - Les champions étant mis à contribution par leurs sponsors, des dizaines d'adolescentes trépignent, impatientes d'obtenir une « surfistique » signature ou l'esquisse d'un sourire Hawaïen. Les surfeurs vétérans de Torquay se régalent de cette scène digne de Disneyland, pour ceux qui ont connu « le bon vieux temps » des premiers surfshops de la ville, le contraste est saisissant : « Dire que l'on a eu nos premiers feux rouges il n'y a pas si longtemps » ! Ils ignorent sans doute qu'à l'issue de ce week-end, la recette du plus grand magasin avoisinera le million de dollars Australiens, (soit 603.620 euros, quasiment 4 millions de francs).
 
Shop Rip Curl à Torquay
La surfcoast Higway, artère principale de Torquay bordée de surfshops.
 
Coeurs chauds en eaux froides - C'est justement au « bon vieux temps» de 1969 qu'il faut remonter pour comprendre comment on en est arrivé là. Deux jeunes surfeurs, Brian Singer et Doug Warbrick tentent de vivre de leur passion, « j'étudiais les mathématiques se souvient Brian, un matin alors que je me rendais à un examen, j'ai remarqué des vagues sublimes. J'ai vite fait demi-tour pour aller surfer à Bell's. Adieux les études ! Par la suite j'ai dû faire de nombreux petits boulots, comme ramasser les poubelles sur la plage. C'était pratique, sitôt le job fini je pouvais retourner à l'eau. Plus tard nous nous sommes lancés dans la fabrication de surfs. Mais nous avons réalisé que le problème ici n'était pas le manque de surf ou de vagues mais bien la température de l'eau ».
 
Shopping session en attendant les vagues.
Steve Clancy conservateur du musée du surf
 
Situé au sud du continent, le Victoria ne bénéficie pas d'une météo clémente - Contrairement à l'autre berceau du surf Australien, la Gold Coast où règne un éternel été. « Ici il existe quatre saisons, le plus souvent dans la même journée » ironisent les locaux. « Une seule marque américaine fabriquait des wetsuits qu'il était difficile de se procurer, nous devions donc en fabriquer, pour cela nous avons acheté une vieille machine à coudre d'avant-guerre. Quelques années plus tard, des Hawaiiens nous ont écrit pour commander nos wetsuits, notre réputation était faite et l'industrie du surf allait commencer à se développer ».
 
Mick Fanning, dans une des manoeuvres aériennes dont il est spécialiste
Seul face à Bell's Beach
 
Boostés par l'effet cluster - Toutes proportions gardées, la suite de l'histoire ressemble à celle de la Silicon Valley Californienne. On parle « d'effet cluster », une ou deux compagnies prospèrent et favorisent l'émergence d'un écosystème industriel. Apparaissent alors de jeunes pousses (start-up), fondées par d'ex-salariés des premières. Leurs naissances et leurs faillites successives permettent d'absorber en douceur les flux et reflux d'un marché en plein développement. Parfois il arrive que les secondes dépassent leurs aînées. Ainsi, Allan Green un des fondateurs de Quiksilver fut-il employé par la jeune société Rip Curl à ses débuts. « À cette époque Rip Curl se consacrait à la fabrication de wetsuits, nous explique John Law l'autre co-fondateur de Quiksilver.
 
Doug (Claw) Warbrick à gauche, au milieu de ses souvenirs. A doite Brian et Claw revieinnent sur la plage de leur jeunesse. Difficile de savoir qui est la tête pensante de Rip Curl. Officiellement on ne communique pas sur la question, pas plus que l'on ne livre aucun chiffre sur la richesse de la société ou celle de ses fondateurs. Côté boulot, Brian n'est pas facile à convaincre nous ont avoué certains cadres de la boite, mais quand une décision est prise, il faut s'y tenir. Il incarne la rigueur au sein de la société.
 
Mais Allan voulait fabriquer des shorts spécialement adaptés au surf - Il a donc quitté la société pour lancer sa propre marque ». Et Doug Warbrick précise même, « il est parti de chez nous avec notre bénédiction ». Un accord tacite interdisant aux uns de fabriquer des wetsuits, et aux autres de s'occuper de board-shorts fut même respecté très longtemps. Bien qu'au fil des années, Quiksilver et Rip Curl soient finalement devenues concurrentes, la légende locale veut que les amis de trente ans s'entendent toujours bien et continuent de se respecter. Ainsi, de vagues en vagues et de modes en modes, les surfeurs hippies des « années pétard », ont-ils vu leurs bébés prospérer au point de devenir de véritables multinationales.
 
Dernière tendance du surf pro : prendre de la hauteur
Surf shop de Torquay digne d'une caverne d'Ali Baba
 
Au pays des surfeurs milliardaires - Le plus bel exemple de réussite du secteur est peut-être la licence américaine de Quiksilver qui a racheté sa maison-mère Australienne et qui est aujourd'hui cotée à Wall Street. Dire que ce serait à la suite d'un pari qu'elle aurait été accordée en 1976 au champion de surf américain Jeff Hackman Rebaptisée Quiksilver Inc, elle est aujourd'hui tenue - cotation oblige - de publier officiellement ses résultats : avec plus de 161 millions d'euros (plus de un milliard de francs) de ventes mondiales pour le seul premier trimestre 2002, elle devancerait de loin ses poursuivantes. Sa voisine de Torquay Rip Curl, qui emploierait quelque 1000 personnes dans le monde dont 300 en Europe occuperait le 4e rang mondial avec près de 200 millions d'euros annuels de chiffres d'affaire. Performance honorable mais officieuse ! Car comme se plait à l'expliquer avec un sourire contenu Doug Warbrick, « Nous sommes une entreprise privée, nous ne sommes donc pas tenu de publier nos résultats ».
 
A gauche, John Law co-fondateur de Quiksilver. A droite, optimisation des prototypes à l'usine Rip Curl
 
À défaut de courbes, de camemberts et de tableaux plus parlants, la saga d'un seul homme peut aider à donner la mesure de l'extraordinaire réussite des surfeurs Australiens. Fondateur de Billabong sur la Gold Coast en 1972, Gordon Merchant a en partie revendu sa société à deux avocats australiens permettant son introduction à la bourse de Sydney en l'an 2000. Ses actions qui valaient 1,2 euros en août 2000, ont grimpé à presque 6 euros en février dernier. En conséquence il serait actuellement le premier milliardaire du surf en dollars Australiens (1 $ Au. vaut 0,6 euros). « Cet évènement ne l'a pas changé assure Stephan Weinhold, brand-manager de la filiale européenne. Il continue à se rendre tous les jours à la plage pour checker les vagues, le surf est toujours sa raison de vivre ».
 
Siège ultra moderne de Rip Curl
L'entrée de Surf City à Torquay
Ouvrier de la surf industry
 
Ici les profits Ailleurs le travail ? - Si ces chiffres font rêver, « c'est pourtant le secteur touristique qui reste de très loin le premier employeur de la région, nuance Beth Davidson maire de Torquay. Et nous devons son dynamisme à la renommée de la plus belle route d'Australie « The Great Ocean Road », plus qu'au secteur du surf ». Le fait que le logo Surf-coast s'étale à longueur de dépliants et de panneaux routiers ne fait pas oublier en effet, que ce sont des activités fort classiques qui animent le tissu économique. Même remarque au Musée du Surf, ou le conservateur Steve Clancy nous confirme que « sur 10.000 habitants, seulement 600 à 800 travailleraient dans les entreprises liées au surf ». Ainsi, le nombre d'emplois engendrés par la dynamique surf-industrie serait très modeste en regard de son chiffre d'affaires. Pas si étonnant, quand on sait que la plupart des productions sont sous-traitées en Asie. Chez Quiksilver, John Law avoue avec un brin d'amertume : « il serait irréaliste de vouloir fabriquer nos produits ici, car le coût du travail y est trop élevé ».
 
A gauche, le Bird Rock Café, rendez-vous des surfers. C'est là que travail Emilie, surfeuse canadienne (à droite)
 
Les immenses bâtiments que nous avions cru être l'usine Quiksilver, ne sont en fait qu'une vaste gare de triage pour des caisses et des palettes en provenance de Chine ou de Taïwan. Ici, tous les salariés sont employés à la conception, au marketing, à la communication et à la vente de la marque. Même principe pour les 250 employés de Rip Curl, à l'exception notable de la production des combinaisons néoprènes : « Ces produits très techniques sont fabriqués dans notre usine de Torquay par des ouvrières hautement qualifiées » précise Brian Singer alors que nous visitons la grande salle des machines à coudre. « Ici, tout est collé et cousu à la main. C'est ce savoir faire qui a fait la renommée de notre marque ». Mais pour combien de temps encore, est-on autorisé à s'interroger
 
Mise au point des prototype à l'usine avec les ouvrières
Brainstorming au bureau de style
 
On glissera en short à Wall Street - Car même au coeur de la Silicon Valley de la glisse, on s'interroge sur le futur. Et ce n'est pas Maurice Cole qui démentira ce vent d'inquiétude. Concurrencé par des surfs produits en Asie à prix cassés, ce shaper reconnu cherche des capitaux afin d'automatiser sa production (lire encadré). Ainsi, que l'on fabrique des planches en résine, des wetsuits en néoprènes, des shorts à pression ou des chemises à fleurs, l'entrée dans l'industrie du 21e siècle nécessitera des investissements colossaux. Comme dans le secteur des médias et télécoms, un seul remède semble préconisée aux cuistots de la finance par le grand livre du business universel : deux mesures de recapitalisation, saupoudrées d'une pincée de croissance externe. Les géants du surfwear s'apprètent donc à se vendre en bourse, avant de faire leur marché parmi les startups prometteuses du skate, du snowboard ou du roller...
 
Après quelques allers-retours entre son agenda et celui de son assistante, nous voilà dans le bureau de Doug (Claw) Warbrick en compagnie de Brian Singer. Nous surplonbons la surfcoast Higway face à la mer.
Les images des seventy's, les trophées, les affiches et les planches dédicacées par les plus grandes légendes du surf ornent les murs. De quoi rendre jaloux le musée du surf de la ville.
 
Sur ce chemin, ils croisent déjà d'autres géants, plus gros encore, venus du textile, du ski ou de la chaussure. Comme réveillés en sursaut, ces derniers sont très pressés d'investire cette opulente bergerie, à l'image de Nike, qui après s'être essayé au snowboard a racheté Hurley une marque fondée par un ancien de Billabong USA. Tiens, tiens ? La course semble bel et bien lancée, mais à l'heure ou leurs fondateurs sont en âge de passer la main, les fleurons du surfwear ne risquent-ils pas de perdre leur âme et le secret de leur réussite dans cette fuite en avant ? Interrogés à ce sujet, tous leurs dirigeants affirment avec assurance que leur implication en compétition, leurs investissements en sponsoring et en développement sont autant de gages de crédibilité auprès de leur clientèle. Tous rappèlent également - et à juste titre - que leurs managers sont d'authentiques surfeurs reconnus par leurs pairs et surtout pas des administrateurs planqués au sommet d'un bulding de Sydney ou New York.
 
A gauche bureau de style Rip Curl... Au centre Brian Singer et Doug (Claw) Warbrick. A ses sandales et son tee-shirt élimé, personne n'imagine que Brian Singer dirige une des plus grandes marques du surf business. Il a un sourire modeste, son succès n'a apparemment pas altéré ses qualités humaines.
A doite Brian et Claw nous montrent leur premier surf siglé Rip Curl. On les accompagne pour une tournée des pubs de Torquay où ils retrouve quelques amis du coin qui n'ont probablement eu la chance de voyager autant qu'eux.
 
Le Surf-spirit sera-t-il soluble dans le marché ? - Reste une inconnue, et de taille ! Personne ne saurait prédire la réaction du noyau dur des glisseurs quand ils verront leurs valeurs se vendre en bourse. Et, bien au-delà de cette tribu, comment réagira cette frange d'adolescents qui inventent les tendances et dessinent les courants de la société dix ans avant que les sociologues ne les repèrent ? Jugeront-il l'esprit du surf soluble dans le marché ? Capables de brûler sans prévenir ce que leurs aînés ont adoré, ils sont des millions de Sydney à Paris, de Rio à Tokyo à avoir consacré le surfwear, sans avoir jamais mis les pieds sur une planche ! En rejetant d'immenses griffes internationales - telles Lewis ou Ray Ban - symboles désuets d'une Amérique qui ne fait plus rêver, pour adopter les fringues des surfeurs Australiens, ils ont revendiqué des valeurs authentiques, écologiques et subversives. Insensibles au marketing et libres de toutes manipulations, les surfeurs sont et seront toujours faits de ce bois-là.
 
A gauche, Claw lors de la remise de la cloche à Handy Irons (ici en action) qui emporte cette trentième édition.
 

Les chiffres reccord du surf business

Sur les cinq premières compagnies de surfwear, trois sont australiennes et deux sont nées à Torquay... Pas mal pour une tranquille petite bourgade d'où le soleil s'absente la moitié de l'année. Toutes affichent des objectifs de croissance entre 25% et 30% pour 2002, les surfeurs hippies millionnaires (milliardaires pour certains) ne s'inquiètent pas pour leurs retraites.
 
Quiksilver : 161 M d'euros de chiffre d'affaires trimestriel début 2002. (250 M d'euros annuels en 2001 pour l'Europe).

Billabong : 229 M d'euros de chiffre d'affaires annuel en 2001 (dont 25 % en Europe).

Rip Curl : 200 M d'euros de chiffre d'affaires annuel en 2001 (dont 60 % en Europe).
 
Chiffre d'affaire du surf français dans le Sud Ouest : autour de 610 million d'Euros pour 3000 emplois stables et autant de saisonniers, ce qui fait de la « glissicone volley » le premier Pole européen de la surf industrie.
 
Nike rachète Hurley 150 Millions d'Euros : Une grosse envie de glisse, voilà, ce qui a dû pousser le numéro un mondial du sport à racheter en février 2002 la marque Hurley. Crée il y a 4 ans seulement par l'ex-distributeur américain de Billabong, Hurley génèrerait quelque 75 Millions d'Euros de chiffre d'affaires annuel.
 
 

Maurice « patron shaper » australien face à la mondialisation

Cet ex-champion de surf admet ne pas avoir toujours eu le sens des affaires. Il est pourtant revenu au pays avec la volonté d'y faire fortune. Exactement à mi-chemin entre Quiksilver et Rip Curl, il a installé sa petite entreprise et sa dizaine d'employés qui produisent 3.000 surfs par an. Pourtant malgré ses trente ans d'expérience, notre patron-shaper de Torquay se sent plus vulnérable que le dernier des patron-pêcheurs de Quimper : désarmé face aux surfs importés à bas prix du sud-est asiatique !
 
Les grosses compagnies qui produisent les pains de mousse ne le livreraient plus comme avant et préféraient alimenter la Chine ou Taiwan, où l'on shape à tour de bras des planches bas de gamme à la finition impeccable ! D'après lui, un des plus gros distributeur américain ferait déjà un chiffre d'affaires annuel de 55 millions d'euros en vendant 221 euros, des surfs chinois qu'il acheterait 132 euros. Quant aux planches Australiennes, elles seraient vendues aux States à 526 euros en magasin. Maurice ne voit donc son salut que dans la mise au point d'un équipement informatisé de très haute technologie qui lui permettrait de produire à la chaîne des surfs de première qualité, encore plus vite qu'un chinois. Il en possèderait le secret, il lui reste à en trouver le financement. En attendant, contrairement à certains « dinosaures » du surf business (comme il dit), Maurice préfère encore aller à la plage qu'au bureau...
 
Pourquoi t'être installé à Torquay ?
La capitale australienne du surf c'est historiquement Torquay. Dans les années soixante-dix, il y avait déjà Rip Curl, Quiksilver, Billabong. C'était la fin de l'époque hippy, j'avais les cheveux jusque-là, je shapais une planche par semaine, juste pour le fun et je gagnais 18 Euros. C'était 4 Euros par mois pour le loyer et 4 Euros pour bouffer, le reste, je le gardais pour les voyages. En 1973 on a été les premiers surfeurs à partir à Bali, il y avait Wayne Linch, Nat Young, Brian et Claw de Rip Curl C'était un vrai paradis ! Pour nous tous ce fut un choc qui nous a fait tout remettre en question !
 
Tu as vécu à Hossegor, quelle différence avec Torquay ?
Enorme différence ! Même si le business a explosé ces dernières années sur la côte Basque, la culture française rend la vie plus agréable, c'est quelque chose qui me manque aujourd'hui. C'est la-bas que j'ai passé la meilleure période de ma vie : en Australie on travaille beaucoup plus dur que chez vous. La-bas je passais 80 % de ma vie en famille ou à chercher des « secret spot » avec Tom, Marc et Barton (ndr : Curren, Ochilupo, Lynch). Ici tout ça n'est plus possible.

Mais rien ne t'oblige à travailler autant !
Pas le choix ! J'ai monté un business, il y a de plus en plus de surfeurs et un marché important à fournir. Les surfeurs ici ont l'habitude de changer de surf 2 fois par ans, ils en cassent pas mal et considèrent leurs planches un peu comme des rasoirs jetables. Ici, on surf toute l'année, alors qu'en France la saison va d'avril à fin novembre, ensuite les gens vont skier... En plus 90 % de la population Australienne vit sur la côte. Parmi eux 10 à 15 % pratiquent le surf : tout sportif fait aussi un peu de surf.
 
Combien produit-on de surf en Australie chaque année ?
Dans les 100.000 boards, principalement en Queensland où beaucoup de shapers sont installés. On fabrique la-bas dans les 35.000 surfs, contre 15.000 dans la région de Torquay. Il se vendrait environ 1 million par ans dans le monde chaque année Et moi je n'en fabrique que 3.000 à 3.500, ah ah ! Pas si mal au fond, car mes surfs sont un peu plus chers que la moyenne ! Aujourd'hui, je préfère sortir moins de surfs, mais de meilleure qualité. Alors qu'il y a 5 ans, j'en faisais 5 à 6.000 par ans principalement pour l'exportation. Et je voyageais beaucoup pour en faire la promotion, comme Chirac avec les Airbus !
 
Tu exportes toujours la majorité de ta production ?
Oui, principalement au japon. La-bas, ils n'ont pas vraiment de grosses cuisses, alors je leur fais des planches un peu plus larges, plus volumineuses avec des dérives plus petites. C'est un marché très intéressant : chez nous un surf coûte dans les 318 Euros, alors qu'au Japon c'est dans les 1600 Euros. En plus, le dollar Australien a beaucoup chuté par rapport au dollar US, ce qui nous avantage par rapport aux shapers américains. L'Australie a dû exporter dans les 50.000 planches cette année.
 
Vas-tu essayer de te diversifier ?
Non, ma devise, c'est « Just surfboards » ! J'ai pris une grosse leçon, il y a quelque année à vouloir vendre des tee-shirts, des vidéos, et diverses choses Et j'ai perdu tout mon argent ! Aujourd'hui, back to the roots, j'ai appris à me concentrer sur ce que je sais faire ! On est une dizaine à travailler ici et ça suffit. J'ai également concédé des licences de ma marque dans le Queensland et en France
 
Combien gagnent tes employés ?
Chez moi ils gagnent à peu près 18.300 Euros par ans (120.000 F), c'est-à-dire plus que la moyenne dans les autres boîtes du coin.
 
Es tu devenu riche en shapant des surfs ?
Riche ? Non Du moins pas du point de vue de l'argent. J'aurais pu être riche, si je n'avais pas tout perdu dans le business de la vidéo et du surfwear
 
Tu ne préfèrerais pas être en retraite et aller surfer un peu plus ?
Non, je crois que je suis bien comme ça. Si j'étais en retraite je dépenserais tout plein d'argent à m'acheter une super bagnole, un avion privé, des trucs comme ça. Non, ce que j'aime c'est bosser avec les jeunes, et les un peu moins jeunes, comme Sunny et Ochi
 
Et l'avenir ?
Imagine que l'on fabrique les surf en 2002 exactement comme dans les années 60. Il va falloir trouver des pains de mousse plus légers, plus solides et surtout mettre au point une machine à shaper pilotée par ordinateur. Pour ça on va se regrouper avec les shapers du coin pour investir. Car un changement important est en train de se produire et l'innovation sera notre seule chance de tenir le choc.
 
Le choc ?
Oui on souffre déjà de la concurrence du sud est asiatique. Par exemple les grosses compagnies qui fabriquent les pains de mousse ne nous livrent plus : elles fournissent en priorité la Chine, Taiwan, la Thaïlande, où ils fabriquent des planches beaucoup moins chères. Leurs shapes ne sont pas très jolis, mais la finition est impeccable. On est victimes de la mondialisation comme toutes les petites boîtes qui sont bouffées par les grosses industries !
 
Penses tu que le marché du surf va grandir encore ?
Oui partout. Il faut savoir que 70 % du marché est constitué de planches bas de gamme, ce que l'on doit faire maintenant en Australie, c'est s'attaquer à ce créneau en gardant les marges que l'on a sur le haut de gamme.
 
Mais le nombre de vagues n'augmente pas lui, où vont surfer tous ces gens ?
Ben ils se lèveront plus tôt pour aller surfer ! On trouvera de nouveaux spots et les gens voyageront un peu plus. Quand j'habitais en France, les locaux n'allaient jamais surfeur avant 9 h et s'arrêtaient à 17 h pour aller prendre l'appéro. Ici en Australie, on se lève à l'aube pour en profiter !
 
Et si la mode du surf passait soudainement ?
Impossible chez nous ! Les gens continuent d'être tournés vers la mer et pas vers l'intérieur des terres Quoi de plus simple, un short, un surf ou même un bodyboard ! Non, je ne vois pas ce qui pourrait détourner les gens du surf. Sauf si un jour, on ne pouvait plus du tout sortir du tout dehors à cause du trou dans la couche d'ozone
 
 

Ou achète-t-on le plus de surfs ?

Ce n'est pas forcément là où il se vend le plus de tee-shirt que l'on pratique le plus le surf. D'ailleurs les chiffres de ventes annuelles de planches nous conduisent à nous poser certaines questions. Pourquoi la Floride est-elle un des plus gros marché du surf US, alors que les vagues y sont plutôt rares ? Les japonais décorent-ils leurs cheminées avec des surfs ? Comment font les shapers australiens pour exporter les deux tiers de leur production ?
 
États-Unis : 500.000 surfs vendus par an au prix moyen de 425 Euros
 
Brésil : 130.000 surfs vendus par an au prix moyen de 213 Euros
 
Australie : 100.000 surfs vendus par an au prix moyen de 318 Euros (ils s'en servent on a vérifié)
 
Japon : 50.000 surfs vendus par an au prix moyen de 1600 Euros (on a du mal à le croire)
 
France : 15.000 surfs vendus par an (pas fous les Français préfèrent aller au ski)
 
Monde entier : on estime à 1 million le nombre de surfs vendus annuellement dans le monde
 
 

Sunny Garcia trois fois vainqueur du Bell's Beach Rip Curl Pro

S'il est une star sur le world Tour, c'est forcément l'américain Kelly Slater. Mais s'il existe une légende, c'est sans conteste l'Hawaiien Sunny Garcia qui, outre son titre de champion du monde en 2000, gagna trois fois ici à Bell's Beach. Il nous donne son avis sur le spot.

En seize années sur le tour et 36 victoires, Sunny Garcia a accumulé 861.580 US$ de prize money. Lors de l 'édition 2001, le lion de Makaha n'avait rien pu faire, face à la fougue d'un jeune loup à la vitesse exceptionnelle dont on a pas fini d'entendre parler : l'Australien de 20 ans Mike Fanning, qui surfait sa vague préférée, là-même ou son sponsor Rip Curl était né, il y a plus de trente ans. Premier signe d'un changement de génération ? La fin de la saison 2002 apportera peut-être la réponse. Mais en terminant second à Bell's lors de cette édition 2002 (devancé de peu par un Andy Iron's au sommet de sa forme et apparement en route pour la consécration annuelle), Sunny a montré qu'il faudrait encore compter sur lui.
 
Quand es-tu venu pour la première fois à Bell's Beach ?
C'était en 1886. Aujourd'hui c'est la dix-septième fois que je surf ici. La vague ressemble un peu à mon break de Makaha, sauf que l'eau est froide. Mais tu peux avoir froid partout, même à Hawaii. Ici quand ça devient gros, c'est une vague très puissante, tout le monde pense que le swell à Hawaii est plus puissant, mais n'importe quelle vague devient puissante quand elle grossit.
 
Tu as gagné trois fois ici, c'est une compétition que tu apprécies ?
Oui, c'est toujours agréable de gagner ici et de faire sonner la cloche, c'est une des étapes les plus prestigieuses du circuit mondial que tout le monde admire. Mais ce que j'aime le plus bien sur, c'est gagner à la maison en face des hawaiiens.
 
Est-il possible de s'amuser dans cette petite ville de Torquay ?
Tu sais je viens ici surtout pour surfer, alors je n'ai pas beaucoup le temps de sortir. Pourtant les gens du coin sont vraiment très accueillants.
 
Tu connais Brian et Claw les créateurs de Rip Curl depuis longtemps je crois ?
Oui je les connais depuis très longtemps, j'ai eu l'occasion de passer pas mal de temps avec Claw quand j'étais plus jeune et que je surfais pour Rip Curl. Aujourd'hui encore j'apprécie leur professionnalisme sur l'organisation de ce contest. Ils s'assurent que tout se passe bien pour les coureurs et que nous sommes accueillis dans les meilleures conditions. Par exemple, si cela s'avère nécessaire ils n'hésitent pas à déplacer toute la compétition sur Johana Beach pour nous offrire de meilleurs vagues.
 
Que penses-tu du jeune Mick Fanning ?
Tout ce que je peux dire c'est que c'est un incroyable rocky. Il est extraordinairement rapide et dynamique sur l'eau, il a des réflexes étonnants et se déplace très vite sur la vague. Il est aujourd'hui un des meilleurs surfeurs du monde.
 
Pense-tu qu'il sera le meilleur de la nouvelle génération ?
C'est très prématuré de le dire, c'est un très bon surfeur, mais les bons surfeurs, ça va, ça vient. Tu ne peux pas dire combien ça va durer ! Je pense à Nicky Woods qui adolescent était un très bon surfeur de mon age et qui a plus ou moins disparu. Mais au jour d'aujourd'hui, Mick a l'air en pleine forme.
 

Les salaires secrets des champions du world tour

Un circuit de compétition professionnel richement doté comme l'est celui de l'ASP (Association of surfing professionals) est la vitrine opulente d'une industrie qui se porte bien.
 
En 2002, se dérouleront 12 étapes professionnelles masculines, dotées chacunes de 250.000 à 300.000 US$ de prize money, sans oublier six étapes féminines dotées de 60.000 US$. Fidèle au rendez-vous de Bell's Beach, le triple vainqueur de l'épreuve et Champion du monde 2000, l'Hawaïen de Makaha Sunny Garcia est un des surfers les plus riches. Il a été surnommé par les australiens « l'homme qui ne sourit jamais », pourtant avec son nom immortalisé par un jeu vidéo mondialement diffusé et ses 861.580 US$ de primes de courses accumulées, d'autres garderaient le sourire.
 
Ce chiffre communiqué par l'ASP n'inclut évidemment pas les contrats de sponsoring dont les montants mirifiques restent désespérément secrets. L'Australien de Sydney Marc Occhilupo Champion du monde en 99, fait lui aussi partie des surfeurs les mieux payés, avec ses 682.253 US$ de gains et son contrat avec la seconde plus grande marque mondiale de surfwear, Quant au quintuple champion du monde Kelly Slater entré chez Quiksilver en 1992, on parle de 1 million de dollars annuels.

A gauche : Sunny Garcia et Handy Irons sur le podium du Bell's Rip Curl Pro. Au centre Mick Fanning vainqueur de l'édition 2001. Cet Australien de 20 ans est l'étoile montante du circuit. Pas facile de le coincer lors de ce Bell's Beach Pro 2002, car tous les médias se l'arrachent. Pressenti comme la relève probable des Slater, Garcia et autres Ochilupo, il est l'homme à abattre et une sacrée pression pese sur ses épaules (apparement solides). A doite Marc Occhilupo prends son breakfast
 

B1 et B2, surfeurs webmasters de www.ripcurl.com

Rien ne permet de les distinguer de la plupart des ados du coin. L'uniforme du rider aussie est la règle à Torquay : Jean extra baggi pas trop net, casquette à l'envers et accent à couper au couteau.

On les appèle B1 et B2, car Brandon Downs 27 ans et Brandon Mc Aloon 28 ans traînent toujours ensemble. La légende locale veut que leurs horaires soient libres et leur permet de quitter le bureau à n'importe quelle heure si les vagues sont bonnes. Mais ils affirment êtres capables de passer 12 heures par jour derrière leur mac en cas d'urgence (ici, fuck Windows). Pour vivre sur le spot de Bell's, le premier a quitté un job surpayé dans une startup de Melbourne et le second une place de journaliste dans un grand quotidien australien. Leur motivation est de voire leur site primé meilleur site de glisse par les césars locaux du net. Ils ont terminé second la dernière fois, en vl'a d'la graine de startup !
 
Quel est votre job ici ?
Je suis webmaster du site Rip Curl international (Brandan Downs = B1). Je crée l'aspect graphique du site et gère sa techno. B2 (Brandon Mc Aloon) lui est journaliste, il en écrit tout le contenu et il y a Marty James qui monte et met en ligne les vidéos. On a reconstruit entièrement le site cette année, maintenant dans chaque pays, chaque filiale possède un webmaster et un journaliste. Pour les Etats-Unis et l'Europe, on fourni l'architecture générale et une interface qui permet aux responsables locaux de mettre en ligne les infos traduites dans leur langue.
 
Proposez-vous un shop en ligne ?
Non, mais on y trouve le catalogue de tous les produits disponibles dans chaque pays et l'adresse de tous les shops. Rip Curl s'est développée essentiellement grâce aux surfshop, alors nous veillons à ne pas les défavoriser. D'ailleurs, nous avons un certain feedback de leur part comme quoi les acheteurs de produits techniques, en particulier les combinaisons ou les montres ont préalablement effectué leur choix sur le site.
 
Comment assurerez vous la couverture du Bell's Beach Pro ?
On a monté un microsite en collaboration avec l'ASP qui offre de la vidéo en streamer et toutes les infos en temps réel. On a environ 700.000 hits pour 40.000 visiteurs par jour, le site est entièrement fabriqué sur Mac et hébergé en ASP, on va de plus en plus l'enrichir en Flash et vidéo.
 
Comment ça se passe le boulot chez Rip Curl ?
Quand t'es dans le web c'est non-stop ! Mais ce n'est pas rare que j'aille surfer le matin si les vagues sont bonnes et je reste plus tard au bureau. Avant à Melbourne, je bossais dans un studio multimédia : je ne faisais pas plus d'heures mais je n'avais aucune liberté de m'organiser. Le plus veinard, c'est B2 qui à la chance de voyager pas mal pour alimenter le contenu du site. Il lui arrive de suivre les coureurs sur les compétitions ou les trips photos comme en Indonésie ou aux Canaries... Enfoiré !

Comment expliquer le rassemblement de toutes ces surf-compagnies ici ?
Rip Curl, Quiksilver, Billabong, Reef, Oakley, Dragon, Full Bore, Maurice Cole, Rojo et encore des tas d'autres plus petites. Difficile à dire : l'ambiance, les vagues, la variété des plages. Mais aussi des raisons historiques, dans les années soixante ils n'utilisaient que des malibus, peut-être les vagues d'ici sont elles plus adaptées à ce type de planche que celles du reste de l'Australie ?
 
Comment se passe la vie à Torquay ?
Il faut accepter un certain sacrifice au niveau du salaire entre un job ici dans le surf et son équivalent à Melbourne, surtout dans le développement, le marketing ou la com. Du coup, beaucoup de gens habitent ici et font deux ou trois heures de voiture pour aller travailler à Melbourne Et beaucoup de gens de Melbourne viennent ici le week-end, ou se font construire des maisons. Ces dernières années Torquay s'est beaucoup développée, il y a quelque temps ils nous ont même installé des feux rouges !
 
 

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© Jean François VIBERT - Journalist and photographer - Paris -
 
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